« J’ai passé à Nice les plus beaux jours de ma vie »
Hector Berlioz
Un projet machiavélique, un nouvel itinéraire, une destinée qui bascule in extremis vers de plus nobles desseins. Il aura suffi à Hector Berlioz (1803-1869) de séjourner quelques mois à Nice pour que son existence se trouve à jamais changée. Le jeune compositeur s’apprête à commettre un acte irréparable, un double homicide suivi d’un suicide. Le sien. Éprouvée par de nombreux déboires amoureux, sa vie personnelle manifeste un déséquilibre croissant qui l’amène à envisager le pire. Il s’arrêtera par hasard sur la Côte d’Azur alors qu’il était en route pour exécuter son projet macabre et retrouvera une paix intérieure propice à éveiller le meilleur de sa créativité. Nice représentera toujours pour l’artiste une terre de beauté et de joies, synonyme de renouveau, de bien-être et d’espoir.
Nous sommes en 1831, Louis-Philippe 1er est au pouvoir depuis peu et la France compte de nombreux miséreux. À Paris et à Lyon, le paupérisme s’impose comme une fatalité connexe à la révolution industrielle. De nombreux ouvriers sont au chômage. Les enfants sont astreints au travail dès leur plus jeune âge ; les anciens ne bénéficient pas de retraite. Hector Berlioz est quant à lui sur la Riviera française, profitant, loin des tumultes et des tourments – du beau temps, d’un cadre de vie exquis et mènera sa propre révolution – musicale !
Il fait de Nice son refuge lors de trois villégiatures durant lesquelles il retrouve le goût de vivre, de créer et compose l’une de ses plus célèbres ouvertures, Le Roi Lear ; une pièce innovante qui contribuera à façonner sa renommée en le positionnant, à juste titre, comme l’un des plus grands génies du romantisme français. La cité azuréenne appartient alors au Royaume de Sardaigne et porte l’ADN des terres du sud, connues pour la qualité de leurs lumières – éclairant les esprits les plus vifs, les artistes en tout temps. Ses ruelles typiques des cités flamboyantes italiennes, ses bâtiments enduits de soleil, son Palais Royal et sa douceur de vivre fascinent le compositeur, émerveillé à chaque instant.
Berlioz ou l’histoire d’un homme blessé qui reprend goût à la vie
« Je me rétablis d’une maladie cruelle ; je compose, je rêve, je remercie Dieu d’avoir fait un si beau soleil, une mer si belle, des montagnes si verdoyantes […] » Hector Berlioz
Après plusieurs tentatives infructueuses, l’illustre compositeur, alors âgé de 26 ans, remporte le prestigieux prix de Rome – récompensant les artistes français jugés prometteurs. Un privilège toutefois accompagné d’une déchirante contrepartie. Il devra quitter Paris et sa fiancée Camille Moke pour s’installer durant trois ans dans la Villa Médicis, à Rome. Les amants promettent de s’attendre et de se marier sous peu, mais dès son arrivée en Italie, les choses se gâtent. Berlioz écrit des missives passionnées à sa belle qui ne lui répond plus.
Il s’avère en effet que la jeune femme s’est fiancée à la hâte avec le fils Pleyel, célèbre fabricant de pianos. Berlioz apprend la nouvelle dans une lettre envoyée par la mère de sa promise. Fou de douleur et de colère, il décide de se venger en projetant de tuer la mère, la fille et de se suicider ensuite. Il quitte Rome, déterminé – souhaitant rejoindre Paris en passant par Turin. Lorsqu’il arrive à Nice, l’émotion le gagne. C’est plus fort que lui, il doit s’y arrêter. Il renonce à sa funeste intention, à sa dulcinée et décide de se reconstruire.
Camille Moke qui deviendra Madame Camille Pleyel et Hector Berlioz
« Voilà que j’aspire l’air tiède et embaumé de Nice à pleins poumons, voilà la vie et la joie qui accourent à tire-d’aile, et la musique qui m’embrase, et l’avenir qui me sourit, et je reste à Nice un mois entier à errer dans les bois d’orangers, à me plonger dans la mer, à dormir sur les bruyères des montagnes de Villefranche, à voir, du haut de ce radieux observatoire, les navires venir, passer et disparaître silencieusement. C’est ainsi que j’ai passé à Nice les vingt plus beaux jours de ma vie » relatait Berlioz dans ses mémoires. Côtoyant quotidiennement la mer, un élément qu’il ne connaissait pas jusqu’alors, le musicien développe une véritable passion pour les eaux calmes de la grande bleue.
Le jeune Isérois a grandi à la Côte-Saint-André ; il découvre un nouveau paysage qui l'émerveille. Il passe tout son temps dehors à contempler les bourrasques des flots, à s’enivrer de nature pendant que ses contemporains fréquentent les nombreux salons niçois où se rencontrent les musiciens et les artistes du début du XIXᵉ siècle. Il trouve tout à fait extraordinaire de pouvoir observer entre Monaco et Nice des montagnes qui plongent dans la mer ou qui en sortent, pourrait-on dire aussi. Berlioz déroge à la règle. Lui préfère se promener le long du littoral et chevaucher les rochers du bord de mer, muni d’un carnet et de papier à musique – s’inspirant de sa propre histoire pour trousser ses trames musicales.
La Villa Médicis à Rome
« Je vais entreprendre quelques immenses ouvrages. Il ne faut pas que je m’amuse à rêver. » Hector Berlioz
Stimulé par l’enchantement du décor, Berlioz est pris d’une fièvre créative. En quinze jours, il compose deux ouvertures symphoniques : Rob Roy et une pièce dramatique exceptionnelle intitulée Le Roi Lear, dans laquelle il est question d’amour, de trahison, de passion et de folie. Une irréfragable mise en abyme de son propre vécu, transposé de manière ambitieuse, à contre-courant des canons de l’époque – redonnant ses lettres de noblesse à la musique instrumentale, qui était particulièrement peu considérée en France au début du XIXᵉ siècle. On lui préférait l’opéra, qui par la force du texte traitait de façon admirable tous les grands thèmes classiques tels que la vie, la mort, l’amour, la guerre…
Inspiré par l’Œuvre de Shakespeare, le compositeur tente d’élever la musique orchestrale au même rang que les Actes d’opéra – cherchant à recréer cette atmosphère au sein de ses motifs musicaux. En outre, il s’engage dans l’écriture de la suite de son premier grand succès, la Symphonie fantastique ; une œuvre majeure de l’artiste par le fait qu’elle est originale, car autobiographique. La pièce raconte le destin tragique d’un amoureux éconduit, mais pour sa suite, comme un écho à sa sérénité retrouvée, le musicien choisit que cette fois, l’histoire se terminera positivement. Lélio ou le Retour à la vie est une œuvre optimiste manifestant le renouveau de Berlioz, libéré de ses errances, de ses souffrances, recherchant l’apaisement, l’aponie et l’ataraxie.
Nice au XIXᵉ siècle
Nice rend hommage au passage du célèbre compositeur
Une carrière harassante, des jours paisibles
Berlioz aurait pu s’installer définitivement à Nice, mais moins d’un mois après son arrivée, la police sarde qui le prend pour un espion, le renvoie à Rome. Productif, le maître de musique enchaîne les compositions, acquiert en seulement quelques années une renommée certaine et se produit en Europe avec succès. Il n’oubliera pourtant jamais sa chère Nice et treize ans plus tard, le voici de retour dans la ville qui l’a sauvé du chaos.
En 1844, après une tournée parisienne, Berlioz est épuisé, a contracté la jaunisse et son médecin lui conseille d’aller se reposer dans le sud de la France. Grâce aux 800 francs que le festival lui avait rapportés, il vint passer un mois à Nice. Cette nouvelle convalescence ne le laisse pas indifférent ; il redécouvre ses émotions d’autrefois. La ville est devenue un haut lieu du tourisme hivernal, peuplé d’Européens fortunés – attirés par la douceur du climat méditerranéen. Le compositeur finit par trouver une chambre au bord de la mer, dans une tour du quartier des "Ponchettes", adossée à la colline du château, devenue aujourd’hui, "la Tour Bellanda".
Dans la ville qui lui a tant apporté, il retrouve vite la santé et avec elle, l’envie de créer, encore, toujours. De sa tour des Ponchettes, le musicien s’imagine dans une tour de guet, surveillant les pirates et ceci lui inspire une nouvelle ouverture, aujourd’hui nommée Le corsaire, une œuvre très rythmée. Hector Berlioz est finalement rappelé à sa trépidante vie d’artiste. Vingt-quatre ans plus tard, après une éreintante tournée en Russie, le compositeur alors âgé de 65 ans décide de prendre une dernière fois la direction de Nice. Victime d’une attaque, il y fait une lourde chute dont il ne se remettra pas. Il meurt quelques mois plus tard à Paris, loin de sa belle Nice.
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